Les conséquences très politiques de la montée des tensions en Corée

Publié le par Nicolas

Les conséquences très politiques de la montée des tensions en Corée

Beaucoup de bruit pour rien ? Début avril, l'annonce tonitruante du président Trump selon laquelle le porte-avion USS Carl Vinson ferait route vers la péninsule coréenne enflammait les médias occidentaux. Il y avait en effet de quoi frissonner à entendre le chef de la diplomatie américaine Rex Tillerson déclarer que la guerre contre la Corée du Nord était "une option" quand on connaît le lourd tribut payé les coréens par le passé (plus de 3 millions de morts entre 1950 et 1953). Ces derniers jours, Donald Trump semblait souffler le chaud et le froid. Dans une interview donnée à Bloomberg le 1ier mai dernier, le voilà qui se déclarait prêt à rencontrer le maréchal Kim Jong-Un lorsque les « circonstances seront appropriées ».

Alors quoi ? Quel est l'intérêt de M. Donald Trump à jouer avec les nerfs des coréens et à agiter le spectre d'un conflit qui prendrait inévitablement une dimension nucléaire ? Comme le révèle l'association amitié France-Corée, l'USS Carl Vinson n'a en effet jamais été dépêché en « mission spéciale » vers la Corée. Ce dernier est arrivé aux alentours du 25 avril « comme prévu de longue date dans le cadre des exercices militaires américano - sud-coréens. » Il y a donc, comme souvent avec M. Trump, une part d'enfumage complaisamment relayée par nos médias. Néanmoins, les déclarations du président américain ont produit des effets bien concrets sur les acteurs politiques de la région. Aussi, quelques élèments méritent d'être rappelés.

Tout d'abord, depuis la destitution et l'emprisonnement de la présidente Park pour des faits de corruption, la Corée du Sud connaît une vacance du pouvoir et sa parole diplomatique semble suspendue aux résultats du prochain scrutin : les coréens voteront en effet mardi 9 mai prochain pour désigner le nouvel exécutif. Comme le notait très justement une petite vidéo intitulée :  « Ce que pensent les sud-coréens de la montée des tensions entre les États-Unis et le Nord », les citoyens de la République de Corée (Corée du Sud) commencent à avoir l'habitude de voir leurs échéances électorales accompagnées d'une soudaine résurgence de la question nord-coréenne. Déjà lors de l'élection de décembre 2012, les conservateurs, qui soutenaient la candidature de Mme Park, avaient savamment entretenu la paranoïa au sujet de leur voisin nord-coréen, accusant l'opposition démocrate de complaisance envers Pyongyang - avec en sus la complicité des services secrets. Récemment encore, les adorateurs d'extrême droite de Mme Park Geun-Hye tentaient de faire croire que sa destitution relevait d'un complot fomenté par la Corée du Nord.

Cette fois, la ligne dure de l'administration Park à l'égard de Pyongyang a peu de chance d'être reconduite dans les urnes, même avec la pression exercée par Trump. Le grand favori des sondages, M. Moon Jae-In, ex-opposant à la dictature du général Park Chung-Hee lorsqu'il était étudiant, se déclare en effet favorable à une reprise du dialogue avec la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), là où la précédente administration n'entendait que l'option militariste. Néanmoins, les récentes déclarations de Donald Trump ont eu un effet immédiat sur le terrain : l'accélération du déploiement du bouclier anti-missile américain de haute-altitude THAAD (pour Terminal High Altitude Area Defense) dans la province du Gyeongsang du Nord, à 200 kilomètres au sud-est de Séoul. L'installation de ce système de missiles anti-balistique, pensé comme une arme de défense contre la Corée du Nord, est officiellement prévue depuis juillet 2016 et devrait s'étendre jusqu'à la fin de l'année 2017. Toutefois -et c'est bien là la principale conséquence de la surenchère guerrière de M. Trump- le déploiement du THAAD a été à ce point accéléré qu'il a aujourd'hui de grandes chances d'être rendu opérationnel avant même l'élection de mardi prochain. Et ce malgré les récriminations conjointes de la Chine (hostile depuis le début à un projet qu'elle considère comme étant en partie tourné contre elle) et du candidat de l'oppostion démocrate -et favori- M. Moon Jae-In, hostile à ce déploiement accéléré. Aussi, quels que soient les résultats de mardi prochain, la future administration sud-coréenne risque fort d'être placée devant le fait accompli.

Lors de son interview à Bloomberg dans le bureau oval, le ler mai dernier, Donald Trump alla même jusqu'à affirmer de manière provocatrice que ce serait aux sud-coréens de régler la facture d'environ 1 milliard de dollars pour sa mise en place. Le THAAD rencontre pourtant une franche opposition de la part des habitants du Gyeongsang du Nord. Les opposants redoutent autant la fuite en avant militariste de leur pays que la chute des revenus du tourisme dans la région. Le 2 mai dernier par exemple, l'armée américaine a été contrainte de faire approvisionner le site de son déploiement par hélicoptère, les convois routiers étant bloqués par les opposants au projet.

Manifestation des habitants de Seongju contre le déploiement de THAAD dans leur région (juillet 2016).

Manifestation des habitants de Seongju contre le déploiement de THAAD dans leur région (juillet 2016).

Mais cette soudaine montée des tensions a également des répercutions en-dehors de la péninsule. Le 3 mai dernier les japonais fêtaient les 70 ans de leur Constitution pacifiste, héritée des lendemains de la Seconde guerre mondiale. Quelques 55.000 manifestants -un record historique- se sont ainsi réunis à Tokyo pour en défendre l'esprit et notamment celui de son article 9. Si les rassemblement ont été si conséquents, c'est que la pression qu'exerce l'exécutif japonais pour obtenir une modification de ce texte se fait aujourd'hui plus pressante que jamais. Comme toujours, la seule évocation de l'épouvantail nord-coréen sert de justification à la militarisation de la région, ce qu'a compris la droite conservatrice emmenée par le premier ministre Shinzo Abe. Dans le chapitre II de la Constitution japonaise intitulé « Renonciation à la guerre » on peut lire : « Aspirant sincèrement à une paix internationale fondée sur la justice et l'ordre, le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ou à la menace, ou à l'usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux. » Aussi, dans les faits, les japonais ne disposent pour l'instant que d'une force d'auto-défense. Mais depuis son entrée en fonction en 2012, le premier ministre Shinzo Abe, membre du puissant lobby révisionniste Nippon Kaigi, compte coûte que coûte obtenir la révision de cet amendement, vélléité pour laquelle les déclarations hostiles de Trump fournissent un opportun prétexte. Deux destroyers japonais participent d'ailleurs actuellement aux opérations militaires conjointes entre les États-Unis et la Corée du Sud.

On voit tout le bénéfice que l'on peut tirer d'une analyse distanciée des enjeux politiques et militaires dans la région. Il est cependant extrêmement dommageable de constater qu'en France comme ailleurs, le conditionnement de l'opinion publique au sujet de la situation coréenne rend toujours aussi incertaine la perspective d'une résolution pacifique et sans ingérence extérieure des tensions entre les deux Corée. Au contraire, c'est toujours la course aux armements et la démonstration de force qui semblent privilégiées et auxquelles contribue lamentablement la France à travers l'envoi de son porte-hélicoptère Mistral et sa participation aux exercices militaires conjoints avec les États-Unis, la Corée du Sud, le Japon et la Grande-Bretagne. Il serait pourtant temps de se rendre compte que loin de menacer l'existence de la Corée du Nord, ces manœuvres militaires justifient au contraire le choix de Pyongyang de se doter de la force nucléaire pour garantir sa sécurité et par-delà de justifier les privations imposées aux nord-coréens ainsi que la montée des périls dans la péninsule.

 

Nicolas.

Publié dans Feux croisés

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